L’accueil en psychothérapie d'inspiration analytique : un chemin d’altérité.
« Au prêtre on dit les
offenses commises, au psychanalyste on raconte les offenses subies. »
M.
Balmary[1]
Dire le mot « accueil » à haute voix c’est se mettre en présente de trois sonorités distinctes. Tout d’abord la syllabe A. Premier lettre de l’alphabet, premier babillage du bébé d’avant la parole, onomatopée total qui ouvre à l’inconnu en désignant des réalités contradictoires – aussi bien la joie que la douleur. Puis vient le son [k] qui tranche, qui coupe, qui sépare. Sonorité qui nait du fond de la gorge et d’où le souffle s’échappe pour s’arrêter net. Enfin le son [eil] qui vient rétablir l’équilibre, qui vient faire tiers entre [A] et [k]. Le calme après la tempête que ce son [eil]– un œil qui ouvre au regard qui reconnaît, au regard qui rassemble et qui élève chacun à une égale dignité[2].
Dire le mot à haute voix donc – pour vivre
la haute voie que l’accueil suppose : de l’ouverture à l’inconnu en
passant par un processus de séparation, il s’agira pour accueillir de se tenir
à une juste distance. Même si, comme les trains, un accueil peut en cacher un
autre puisque celui qui accueille n’est pas toujours celui qu’on croit…
Les écueils de l’accueil.
Force est de
constater l’omniprésence des références à la notion d’accueil dans nos sociétés
occidentales. On parle par exemple aujourd’hui des « métiers de
l’accueil » ; comme si ce qui était jadis un
« donné » soit désormais l’objet d’une construction, d’une thématique
prise dans une formation force de vente. Répondant à un besoin psychologique
qu’il s’agira de mieux définir, il nous semble que cette insistance à vouloir
accueillir est le signe d’un « manque » ou plutôt d’un retour du refoulé
de nos sociétés modernes individualistes. Alors que l’accueil semble ne vouloir
se satisfaire d’aucun juste milieu – l’on parle d’un « bon accueil »
ou d’un « accueil glacial » – l’on serait tenté de dire qu’en la
matière, plus on en parle et moins on en fait !
Si l’accueil se définit trivialement comme
la réception qui est faite à quelqu’un ou à quelque chose, commençons par
séparer l’ivraie du bon grain en insistant sur ce qui fait passer, à faux
titres, l’accueil pour ce qui ne l’est pas.
Le verbe accueillir est formé du verbe
« cueillir » et du préfixe d’origine latine ad qui signifie vers, ajouté à. Le verbe « cueillir »
quant à lui vient du latin colligere
(de cum avec et ligere cueillir) qui avait à l’origine un espace de
signification plus large que de nos jours : cueillir ensemble mais aussi
recueillir, ramasser, réunir.
Accueillir n’est pas recueillir. L’accueil
indique une notion de mouvement et de volonté alors que le recueillement se
trouve dans une zone de passivité. Une passivité qui certes doit se comprendre
comme une réceptivité cultivée puisque le recueillant cherche à parvenir à un
état dans lequel est développée l’aptitude à recueillir ce qui vient du dehors.
En poussant plus avant l’on pourrait dire que tout recueillement vise une
inscription dans un recueil et que dans le recueil, ce qui est recueilli est
destiné à mourir.
De même accueillir n’est pas cueillir. Les deux verbes ne se situent pas sur la même ligne temporelle. L’accueil est pur présent et tissé de futur alors que cueillir vise l’éternalisation de l’objet : le coquelicot se meurt une fois cueillit mais reste à contempler, présent à jamais pour la mémoire, entre les pages de l’herbier. De plus la cueillette, à travers l’idée de rassemblement, suppose une certaine notion d’identité. Le cueilleur sait souvent d’avance ce qu’il cherche à cueillir car il souhaite compléter une collection. Il classe par groupe et par espèce dans le cadre d’une certaine homogénéité. A l’inverse l’accueil ouvre à l’inconnu dans une dimension de surprise qui ne peut se prévoir. L’on a beau savoir qui vient dîner, nul ne sait comment le repas va se passer.
De même accueillir n’est pas cueillir. Les deux verbes ne se situent pas sur la même ligne temporelle. L’accueil est pur présent et tissé de futur alors que cueillir vise l’éternalisation de l’objet : le coquelicot se meurt une fois cueillit mais reste à contempler, présent à jamais pour la mémoire, entre les pages de l’herbier. De plus la cueillette, à travers l’idée de rassemblement, suppose une certaine notion d’identité. Le cueilleur sait souvent d’avance ce qu’il cherche à cueillir car il souhaite compléter une collection. Il classe par groupe et par espèce dans le cadre d’une certaine homogénéité. A l’inverse l’accueil ouvre à l’inconnu dans une dimension de surprise qui ne peut se prévoir. L’on a beau savoir qui vient dîner, nul ne sait comment le repas va se passer.
Ceci nous amène à la vérité profonde de
l’accueil. Accueillir n’est pas héberger car si l’hébergement prête un toit,
l’accueil partage un abri. L’accueil a vocation à construire un lien et vise
une relation. Il « favorise » la rencontre. Le verbe
« favoriser » a ici son importance au sens où accueillir ne signifie
pas de facto qu’il y ait rencontre.
Car la rencontre est un phénomène rare, imprévisible et inattendu. De là il est
aisé de comprendre que toutes les tentatives de protocolisation de l’accueil en
viennent à manquer l’essentiel : certes il est préférable de sourire, bien
sûr qu’il est souhaitable d’être poli, mais idéaliser l’accueil en le centrant
sur l’accueillant c’est faire de l’accueilli un prétexte alors que l’accueil
véritable est relation. Car l’accueil est intrinsèquement hétéro-centré ;
le danger pour l’accueil étant qu’il prenne ses racines dans la vanité où
l’accueillant juge la valeur de son accueil à la lumière de l’état de nécessité
ou de détresse dans laquelle se trouve celle ou celui qui est reçu.
L’accueil est déplacement car il est séparation.
Puisque l’accueil est relation il est donc
aussi déplacement. Un ad cueil qui va
vers. En cela la dynamique de l’accueil rappelle une vérité biologique
première : si la graine restait sur l’arbre et n’avait pas besoin d’un
milieu favorable pour s’épanouir, il n’y aurait ni continuité ni diversité
vivante. L’accueil est donc animé d’une puissance métamorphique qui rompt avec
la stabilité et l’esprit de conservation pour devenir un acte commun de
transformation.
C’est ainsi que l’on comprend que l’accueil
se fonde, plutôt que sur la cueillette qui recueille, sur une aptitude à entrer
en relation, à tisser un rapport qui active deux pôles différents,
l’accueillant et l’accueilli.
Poser que l’accueil est déplacement c’est rendre
clair que l’accueil va de pair avec un processus de séparation. L’accueil
implique la rupture d’avec un lieu d’origine. Plus que la cueillette c’est donc
bien la bouture qui nous révèle la dignité du processus. L’accueil consiste à
donner naissance à un nouvel individu à partir d’un fragment isolé. L’exemple
le plus parlant peut être : les parents accueillent un enfant ; cet
être neuf et qui pourtant vient d’eux. Et les parents connaissent bien alors
les deux écueils mortels de l’accueil : la fusion, dans laquelle le deux
devient un et dans laquelle disparaissent aussi bien l’accueillant que
l’accueilli, ou la kénose, dans laquelle l’un se vide de lui-même en se déversant
complètement dans l’autre, se diluant dans l’altérité rencontrée.
Dans une acception plus phénoménologique l’accueil
est ce juste milieu qui relie deux êtres en proposant un sens nouveau, un sens
qui était absent d’avant la relation qui est accueil. L’heure du dîner
approche, quelqu’un sonne à la porte. Accueillant et accueilli se serre la main
dans une dynamique qui se rencontre en terrain neutre ; sur le seuil. Plus
tout à fait dehors, pas tout à fait dedans; le seuil est le lieu où le danger
vient accoster à l’abri. Au delà du seuil existe l’inconnu affecté de la
dangerosité, réelle ou fantasmée. Comment le repas va t-il se passer ? A
mettre les points sur les « i », enlevons la lettre du mot pour
découvrir que le « seuil » devient le « seul ». Le seuil
serait donc ce lieu où l’on se tient entre soi et l’autre, un lieu où le sujet
se découvre et s’expose souvent
douloureusement dans le risque de sa solitude. Marqueur fondamental de
l’irréductible unicité de l’être, le sentiment de solitude gagne à être pensé
comme l’affect majeur qui témoigne de cette conscience du séparé en nous-même.
Ainsi la dynamique de l’accueil nous invite à un déplacement plus profond
encore : accueillir l’autre revient à s’accueillir soi et son propre
inconscient. Car autrui fait vibrer en moi un espace inconnu qui surgit sur le
mode de « l’inquiétante étrangeté »[3].
Autrui fait passer de l’ombre à la lumière cet intime qui devait rester caché
en nous. Intime qui surgit comme étranger au point d’en être effrayant. Nul
pessimisme là-dedans mais un appel au voyage. Lorsque j’écoute mes patients en
séance je ne peux m’empêcher de penser que, si la souffrance est le lieu de
notre finitude essentielle, cette traversé conduit à réaliser que chacun est
tellement plus que ce qu’il croit être…
En conséquence l’accueil est performatif en
ce qu’il force à changer. Il met en jeu une problématique de l’altération, du
devenir-autre. Une altération qui jamais ne doit se muer en aliénation –
puisque l’accueil est liberté et ne peut se prescrire. Il implique un défi et
entraîne une dimension de volonté forte. La volonté d’accueillir, c’est-à-dire
d’être à l’abri avec l’autre. Il demande un effort puisqu’il vient nous
bousculer dans nos conforts et nos habitudes. Autrement dit, jamais la capacité
d’accueil ne doit se figer en habitude, tout simplement parce que l’accueilli
est toujours nouveau, a un visage toujours renouvelé.
L’accueil est ouverture à l’inconnu car il implique une juste distance.
L se présente à mon cabinet sur les
recommandations de son père spirituel. A 35 ans, L est heureuse en ménage, est
mère de deux enfants et a un poste à responsabilité. Le début de la séance se
présente d’ailleurs comme une « check-list » qui prouve que tout va
bien. Alors que je m’en réjouis L semble surprise. Elle déclare :
« en tant que psy vous devriez vous attendre à ce que je vous dise que ça
va très mal et que je vais m’écrouler » ? Je lui réponds que non et
précise : « c’est très positif tous ces pans de votre vie qui vont
bien. Chaque patient ici est accueilli pour ce qu’il est et pas seulement à la
hauteur de ce qu’il souffre. » Intérieurement je me mets à penser que pour
L, venir chez moi, est une démarche qu’elle a du mal à s’autoriser. A l’écoute
des résonances inconscientes que la patiente suscite en moi, je tache alors
d’adopter une attitude emprunte de juste distance[4].
Ni trop près ni trop loin. Trop loin équivaudrait à laisser la patiente se
débrouiller seule avec un narcissisme en quête de reconnaissance. Trop près
s’apparenterait à ne pas faire confiance, à être dans un forçage qui, sous couvert de vouloir aider, ne serait que
projeter sur l’autre ses propres angoisses abandonniques.
C’est alors que L se met à pleurer :
« j’ai pourtant tout pour être heureuse mais je n’y arrive pas ». Le
reste de la séance sera consacrée à ce que L décrit comme sa « peur du
vide depuis toujours ». Compensée par un comportement hyperactif, L se dit
en lutte contre des affects dépressifs profonds, elle qui enfant avait pour
rôle de réanimer sa mère psychiquement morte[5].
« Et le pire c’est que personne ne voit que je ne vais pas bien »
ajoute t-elle. J’en viens à me formuler une hypothèse : peut-être que sa
vision initiale du psy – un être vampirique qui se nourrit de la souffrance
d’autrui – vient rappeler à la patiente l’ambivalence éprouvée vis-à-vis de l’objet
maternel. Cette mère, autant aimée que haïe, prend tout l’espace psychique de
la patiente et semble lui barrer l’accès à un travail thérapeutique pour
elle-même. Comment être accueilli si c’est toujours un autre que l’on
attend ?
Au fil des mois et des séances, L a rejoué sur
le cadre thérapeutique des angoisses d’intrusions très archaïques. Souvent L ne
venait pas à ses rendez-vous ou alors elle venait sans être annoncée. Pour le
thérapeute il a fallu persister dans l’accueil, supporter d’être mis à la place
de cette mère rejetante en se persuadant que les différentes attaques, si elles
m’étaient adressées, étaient à destination de ma fonction et non de ma
personne. Une séance fit date dans notre travail. Après les traditionnelles
attaques en règle – « vous ne faîte que parler », « vous ne
pouvez pas m’aider » – L me fixa du regard. Après un long temps de silence
elle déclara : « en fait j’ai besoin que vous pensiez à ma place.
J’ai besoin que vous me compreniez ». Je saisi l’occasion et
répondit : « je ne peux pas vous comprendre. Dans comprendre il y a
prendre et moi je ne suis pas là pour vous prendre quoi que ce soit mais pour
vous offrir mon écoute. Il m’apparaît important que vous réalisiez que je ne
suis pas à votre place et que, ce que vous vivez vous appartient à vous et à
vous seule ».
Cette interprétation eut de grand effet sur la
cure de la patiente. Rassuré sur mes intentions L réalisa que je n’avais pas
vocation à devenir le maître de ses pensées et que, puisque je ne pouvais pas
la comprendre, un chemin d’ouverture au partage se révélait alors possible
ensemble.
Conclusion
Conclure en redisant le mot à haute voix. Mais
cette fois ci, le lier avec son article « défini ». L’accueil ou là-cueille.
La surprise du « ah » fait place à l’adverbe « là » qui
indique aussi bien la valeur de lieu ou de temps. Nous voilà donc « définis »
dans notre analyse puisque l’accueil devient incarné ! Dans un temps donné
et dans un lieu à construire, l’accueil est ce chemin d’altérité où chacun est
appelé à sortir de lui-même pour rencontrer l’autre sur le seuil ; dans
cet espace nouveau qui n’appartient ni à l’un ni à l’autre mais qui se vit en
commun. La-cueille donc ; ce mouvement qui donne « le La » de la
relation et veille sur l'approfondissement de la
singularité fondamentale de chacun, qui seule nous replace les uns auprès des
autres comme nécessaire. Enfin dimension éthique et
politique à laquelle l’accueil nous enjoint. Plutôt que de vivre dans
l’assurance d’un monde qui prône le « risque zéro » – assurance de
rien sinon du zéro pointé de la relation – choisissons avec l’accueil le droit au mystère. Mystère de l’autre et de soi-même qui
toujours nous remet en chemin. Mystère incarné, entendu non pas comme ce
que jamais nous ne connaîtrons mais comme ce que nous ne cesserons jamais de connaître.
Etienne
Duménil
91 rue de
Provence 75009 Paris.
1 rue Henri Douay 95590 Nerville-la-Forêt (secteur l'Isle-Adam)
1 rue Henri Douay 95590 Nerville-la-Forêt (secteur l'Isle-Adam)
Bibliographie
M. BALMARY, Le sacrifice interdit. Freud
et la Bible, Paris, Grasset, 1986.
S. Freud, L'inquiétante étrangeté et autres essais,
Paris, Folio essais, 1985.
A. Green, Narcissisme de vie,
narcissisme de mort, Paris, Minuit, 2007
D. Winnicott, La mère suffisamment bonne, Paris, Payot,
2006.
[2] Notons que l’étymologie
va dans ce sens puisque l’acception primitif du mot accueil vient du latin
« accolligere », qui signifie « rassembler », et renvoie
aux notions d’aide, de protection, de refuge.
[3] S.Freud, L'inquiétante étrangeté et autres essais,
Paris, Folio essais, 1985. Unheimliche en allemand : heimliche
désignant à la fois ce qui vient de la maison – l’intimité tranquille du
foyer – et ce qui doit rester caché, secret.
[5] cf. le syndrome de la « mère
morte » développé par A. Green, Narcissisme
de vie, narcissisme de mort, Paris, Minuit, 2007
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